L’art autochtone à l’honneur
par Nicholas M. Pescod|27 DÉC. 2022
Lorne Julien est un des artistes qui ont créé des bâtons de hockey uniques pour la présentation des joueurs du match.
photo: Dan Froese
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Au terme de chaque partie au Championnat mondial junior 2023 de l’IIHF, qui est disputé à Halifax et à Moncton, un joueur de chaque équipe sera nommé Joueur du match et recevra un bâton de hockey.
 
Mais pas n’importe quel bâton. 
 
Les bâtons remis lors des 31 matchs seront ornés de l’une des créations de quatre éminents artistes autochtones du Canada atlantique, soit Emma Hassencahl-Perley, Lorne Julien, Robin Jipjaweg Paul et Natalie Sappier (Samaqani Cocahq).
 
« Après un moment où nous nous sommes sentis tellement loin les uns des autres, ce projet a un fort potentiel unificateur. Les sports ont ce pouvoir rassembleur. Ils unissent les gens et leur font vivre des moments inoubliables, décrit Mme Sappier. Je suis très fière de voir nos artistes mis en lumière. Il y a tant d’histoires qui viennent de notre coin de pays et dont on entend peu parler. »
 
Hockey Canada s’est associée avec Mawi’Art: Wabanaki Artist Collective, un organisme axé sur le soutien et la promotion d’artistes autochtones du Canada atlantique, pour repérer les talents locaux. 
 
« Notre but premier est de faire rayonner l’art de la Confédération Wabanaki et l’art autochtone du Canada atlantique, et l’occasion était tout indiquée », exprime Shawn Dalton, directrice administrative de Mawi’Art. « Le Mondial junior est un événement de premier plan, nous étions très enthousiastes. »
 
En septembre, le collectif a invité les artistes intéressés à présenter leurs créations. 
 
« La publication de Mawi’Art m’a grandement interpellée, alors j’ai sauté sur l’occasion, raconte Mme Sappier. Quand je vois quelque chose d’intéressant, je me contente souvent de penser que c’est bien sans y donner suite, mais cette fois-ci, quelque chose m’a particulièrement touchée. »
 
Au départ, le concept reposait sur deux artistes, mais Mawi’Art a finalement choisi quatre œuvres. Les artistes ont été choisis en fonction de divers facteurs, notamment leur lien avec le hockey.
 
Mme Dalton explique : « Leur rapport personnel au hockey est formidable, par exemple Emma Hassencahl-Perley, qui joue depuis qu’elle est toute petite, ou Lorne Julien, dont la famille produisait des bâtons de hockey à grande échelle et en vendait partout en Amérique du Nord. C’était une belle occasion pour eux de se remémorer des souvenirs avec leur famille et leur lien avec le hockey. »
 
« Je ne pensais pas être choisie, je suis très reconnaissante et touchée », confie Mme Paul, une artiste micmaque de la Première Nation d’Oromocto, au Nouveau-Brunswick.

DES ŒUVRES UNIQUES AU THÈME COMMUN

Les quatre créations sont uniques, mais ont toutes une chose en commun : par pur hasard, un aigle est représenté dans chacune.
 
« J’ai constaté avec stupéfaction que nous avions tous peint des aigles sur nos bâtons, sans nous être d’abord consultés », s’exclame Mme Hassencahl-Perley, une artiste Wabanaki de la Première Nation de Tobique, au Nouveau-Brunswick.
 
Dans les cultures autochtones d’Amérique du Nord, l’aigle revêt une grande importance. « Recevoir une plume d’aigle est un très grand honneur dans les cultures des Premières Nations du Canada. Ce cadeau symbolise une grande réalisation. Dans ce cas, l’aigle rappelle de viser au-delà des attentes, mais aussi de rester humble. »
 
L’œuvre de Mme Hassencahl-Perley comporte un aigle, une personne qui joue au hockey, des étoiles, un flocon de neige et des morceaux de bouleau sur fond bleu. 
 
« J’ai choisi de rendre honneur aux artistes Wabanaki qui travaillent l’écorce de bouleau, qui embellissent des contenants ou des canots faits d’écorce de bouleau avec diverses techniques comme le mordillage et la gravure. J’ai consulté beaucoup d’images d’archives de contenants et de canots pour orienter ma création. »
 
M. Julian, un peintre et membre de la Première Nation de Millbrook, en Nouvelle-Écosse, a choisi de représenter un gros aigle entouré de motifs à double courbe micmacs. Il a aussi intégré un cœur orange au centre de l’oiseau, en hommage aux enfants des pensionnats.
 
« Je voulais ajouter le cœur orange pour représenter les survivants des pensionnats et les enfants qui ne sont jamais rentrés à la maison. »
 
L’aigle occupe également une place centrale dans la création de Mme Paul. Sur les ailes de l’oiseau sont inscrits les sept enseignements sacrés : le courage, l’amour, la sagesse, le respect, l’honnêteté, l’humilité et la vérité. L’artiste s’est grandement inspirée de sa famille. 

« Ça représente ma famille, car nous sommes du clan de l’aigle, explique Mme Paul. J’ai donc un lien très étroit avec l’aigle. Je voulais représenter les sept enseignements sacrés, car, à mon avis, pour être le Joueur du match, il faut comprendre ces sept enseignements. »

Mme Sappier, une artiste visuelle qui a grandi dans la Première Nation de Tobique, a peint un aigle, de même qu’une tortue, un poisson et un coyote, sur un fond coloré.

« Je me suis inspirée de notre relation avec le monde animal. J’ai représenté la tortue, qui symbolise la Terremère et le rassemblement de tous ces gens de partout dans le monde au tournoi. »

L’aigle évoque « les rêves de nos nations et de nos ancêtres qui veillent sur nous depuis le ciel », tandis que le coyote, également inspiré par sa famille et les athlètes, incarne la gaieté et la survie. 

« J’ai pensé à la passion, à la motivation, à ce que représente le hockey pour bien des adeptes. Je suis toujours admirative de quiconque exerce un sport de cette façon. Je voulais exprimer ma gratitude et montrer aux joueurs que ce que je vois est très beau et inspirant, leur dire que je suis fière d’eux et que je les soutiens comme je peux. »

UN LIEN UNIQUE

Ce n’est pas la première fois qu’un artiste autochtone conçoit les bâtons pour les joueurs du match : Jason Carter, un artiste de l’Alberta, a peint les bâtons qui ont été remis au Mondial junior 2022 à Edmonton. Comme le tournoi se déroule sur la côte est cette année, c’était l’occasion pour des artistes autochtones de la région d’aborder le lien historique entre leur culture et le hockey.
 
« C’était une occasion en or de lier la culture autochtone des Maritimes aux origines du hockey, notamment la fabrication traditionnelle des bâtons », affirme Grant MacDonald, responsable d’événement pour le Championnat mondial junior 2023 de l’IIHF.
 
Le lien entre le hockey, notamment le bâton, et les communautés autochtones des Maritimes est plus profond que bien des gens l’imaginent. 
 
Les Micmacs de Nouvelle-Écosse taillaient des bâtons de bois qui étaient utilisés dans la LNH au début des années 1900 et commercialisés par la Compagnie Eaton Limitée. 
 
L’arrière-grand-père de M. Julian, qui a été chef de la Première Nation de Millbrook pendant des décennies, est l’un de ceux qui confectionnaient ces bâtons.
 
« Il faisait partie du groupe. Ils avaient un contrat important, une commande de 12 000 bâtons micmacs, qui tiennent leur nom de la nation.